Une personnalité oubliée...
«Alsacien d’origine suisse», telle est la qualification qui, bizarrement, avait été attribuée à René-Henri Munsch (1894-1974), professeur de dessin de la lettre à l’École Estienne, à Paris.
L'institution parisienne garde-t-elle en mémoire l'image de celui qui a enseigné dans ses murs durant vingt ans, apportant à l’école «l’esprit de la lettre»? Artiste de l’écriture lithographique et de la publicité, historien du caractère typographique, il était, selon un ancien élève devenu à son tour enseignant, «un chercheur talentueux, influencé par les écoles graphiques germaniques». De ce «célèbre» Herr Professor, personnalité distinguée, aux «lunettes cerclées d’or», qui savait garder la «distance qui protège des familiarités», on ajoutera paradoxalement cette opinion: «Tout en lui respirait la vieille France»!
Les francophones des arts graphiques qui se sont intéressés à l’écriture et au dessin de caractère au milieu du siècle dernier (et jusqu’aux années quatre-vingt) se sont généralement référés à ses ouvrages (ou du moins en avaient connaissance). Ils étaient publiés chez Eyrolles. On citera notamment Physionomie de la lettre (1958); Recueil d’alphabets à dessiner (1959); Modèles d’alphabets, «Bâton» (1959); Modèles d’alphabets, «Chiffres» (1960) et surtout L’écriture et son dessin (1960).
Lorsque j’ai moi-même commencé d’enseigner la typographie, j’avais acquis ce dernier ouvrage (qui connut plusieurs éditions). J'ignorais, alors, que ce maître, surnommé «Riton» par certains élèves, recelait une origine helvétique… Rétrospectivement, je me demande si deux indices n’auraient pas dû me mettre la puce à l’oreille. Soit ce passage dudit livre: «Les réalisations obtenues en Angleterre et en Allemagne doivent être possibles en France, afin de satisfaire aux exigences de notre industrie et de notre commerce. […] Et aussi: «L’art graphique suisse, soutenu par un enseignement impeccable, n’est nullement asservi par les nécessités commerciales. Il produit une réclame saine, logique, adaptée aux techniques employées.»
On conclura par cette affirmation (avant-gardiste pour l’époque) relative au caractère bâton (Antique ou Linéale), qui personnifie disait-il, le «style dépouillé de notre temps», tout au moins sous «ses deux meilleures formes»: l’Europe (appellation française pour le Futura) et le Kabel de Rudolf Koch. Deux polices qui, soit dit entre nous, n’étaient nullement prisées par les tenants de la tradition française…
Roger Chatelain
